Les discours sur les difficultés de recrutement, tous plus alarmistes les uns que les autres, se multiplient en ce début d’année 2022. Certains secteurs, plus touchés que d’autres, redoutent déjà un marché totalement déserté par les talents.

Quel état des lieux peut-on dresser de la situation de l’emploi en France à l’aube du 2ème trimestre de l’année ? Quelles sont les aspirations des candidats et des salariés et pourquoi sont-ils en désamour avec les postes proposés par les recruteurs ? Quels leviers d’actions peut-on imaginer à l’échelle des pouvoirs publics et de l’entreprise ?

Pénurie de main d’œuvre, Grande Démission… où en est-on réellement ?

Les chiffres ne sont pas bons.

D’après le baromètre Apec du premier trimestre 20221, 78% des entreprises qui projetaient de recruter un cadre sur cette période s’attendaient à avoir des difficultés de recrutement (+12 points comparé à la même époque en 2021).

Le Guide des Salaires 2022 conduit par le cabinet de recrutement Robert Half et analysé par Focus RH2 confirme ces difficultés à l’échelle globale de la population active. 1 dirigeant sur 3 déclare qu’il sera plus difficile de trouver des talents qualifiés en 2022 par rapport à la période pré-covid. Noémie Cicurel, directrice formation et recrutement du cabinet France et Benelux explique que la pénurie actuelle de certains talents conjuguée au besoin de renouveau post-pandémie renforce le jeu des chaises musicales.

De manière plus globale, une étude publiée le 10 février dernier par Pôle Emploi et relayée dans Usine Nouvelle3 démontre que 68% des employeurs sont confrontés à des difficultés de recrutement, tous profils confondus (contre 57% en 2018). Un chiffre qui s’élève à 73% dans l’industrie.

Dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, qui a perdu 237 000 emplois pendant la crise sanitaire, on constate que le casse-tête pour recruter des saisonniers à l’approche de la période estivale est exacerbé. Les difficultés existaient toutefois depuis plusieurs années dans certaines régions, comme le rapporte France 3 Nouvelle Aquitaine4.

À ces difficultés de recrutement, s’ajoute l’épineuse question de l’augmentation du nombre de démissions. Le phénomène, qui a débuté aux Etats-Unis pendant l’été 2021 avec la Grande Démission (the Big Quit), semble aujourd’hui toucher la France de plein fouet. Le Figaro5, se fondant sur les derniers chiffres de la Dares (Direction de l’Animation de la recherche, des Études et des Statistiques) détaille ainsi qu’en 2021, le nombre de démissions en CDI a bondi de 10% en juin et de 19% en juillet par rapport à 2019. Soit plus de 302 000 départs en deux mois contre 263 000 en 2019.

Attention toutefois à ne pas céder à la panique.

La situation n’est certes pas flatteuse mais les conclusions de l’enquête de Pôle Emploi, décryptées par les Echos6, nous rappellent que les difficultés de recrutement anticipées par les employeurs ne se soldent pas par des échecs. Le processus peut être plus long qu’auparavant, mais dans la plupart des cas il aboutit. Pôle Emploi relativise alors les communications alarmistes qui laissent entrevoir une pénurie de main d’œuvre de grande ampleur. L’organisme public rappelle en effet que les 255 000 à 390 000 emplois non pourvus en 2021 ne représentent que 1 à 1,6% de l’emploi salarié total en France.

Quelles solutions pour renouer avec les candidats ?

Selon la plupart des experts, les difficultés actuelles de recrutement trouvent leur origine dans une inadéquation entre les conditions de travail proposées et les (nouvelles) aspirations des travailleurs. La pandémie a en effet réellement rebattu les cartes et réveillé de nouvelles aspirations chez la plupart des salariés.

Dans son dernier rapport du mois de janvier 2022, le Conseil Économique, Social et Environnemental, ou CESE7, détaille 20 mesures visant à améliorer l’attractivité des métiers en tension. Les leviers d’action proposés se situent à la fois à l’échelle des pouvoirs publics, des branches professionnelles et des entreprises elles-mêmes. Parmi les recommandations de l’Agence Publique figurent :

  • La subvention des solutions de garde d’enfants, pour permettre à tous les parents et co-parents de mieux intégrer le marché du travail 
  • Le financement mutualisé d’avantages collectifs au bénéfice des salariés (chèques déjeuner, chèques logement…) exonérés de prélèvements obligatoires, pour revaloriser le pouvoir d’achat
  • L’aide à la mobilité et la formation, pour faire coïncider l’offre et la demande d’emploi

Ce dernier axe ne fait toutefois pas l’unanimité. Dans un rapport en date du 14 mars 20228, le CAE (Conseil d’Analyse Économique) démontre que l’inadéquation entre l’offre et la demande d’emploi n’a pas d’impact significatif sur les difficultés de recrutement des entreprises. Pas plus que sur le taux de chômage (7,4% en 2021). L’instance consultative rattachée au Premier Ministre conclut que la formation des actifs et leur mobilité sur le territoire ne sont que des réponses très partielles aux enjeux actuels. Le rapport tend plutôt à établir que les difficultés de recrutement sont en réalité liées à une mauvaise information et à un manque de communication entre les demandeurs d’emploi et les employeurs. Pour pallier cet écueil, le CAE conseille de développer les services privés d’aide au recrutement à destination des entreprises en complément de l’action de Pôle Emploi : aide à la sélection et à la vérification des profils, identification des compétences clés, adéquation avec l’environnement de travail…

Parmi les leviers à actionner pour renforcer l’attractivité des métiers pénuriques figure évidemment la question du pouvoir d’achat. Certaines branches ont déjà commencé à agir sur ce pan. Une hausse moyenne des salaires de 16% a par exemple été actée mi-janvier dans le secteur de l’hôtellerie-restauration, comme détaillé par le magazine Capital9. Le salaire minimum du secteur devrait donc être 5% au-dessus du Smic. Une manière d’attirer davantage de candidats dans des établissements qui ont souffert de plus de 9 mois de fermeture entre mars 2020 et mai 2021.

Au-delà des accords de branches, conformément aux prévisions de l’Apec1, les salaires pratiqués pour les profils pénuriques vont naturellement avoir tendance à augmenter. La concurrence entre les employeurs étant accrue, le jeu de l’offre et la demande va être favorable à certains métiers, voire à des secteurs entiers.

Le pouvoir d’achat n’est toutefois pas l’unique écueil des employeurs dans cette période post-covid. Dans l’hôtellerie-restauration, comme dans d’autres secteurs, les conditions de travail ne sont plus alignées avec les attentes des collaborateursLe Monde10 rappelle que les CHR (cafés hôtels et restaurants) regroupent les métiers les moins favorables au bien-être psychologique : travail le week-end, coupures entre deux services, heures supplémentaires non payées… De nouveaux accords de branche sont attendus d’ici mi-mai pour améliorer les conditions de travail et renforcer l’attractivité de la profession.

L’inadéquation entre l’expérience collaborateur proposée et celle souhaitée par les salariés concerne en réalité la plupart des métiers. Ainsi, le télétravail, lorsqu’il est possible, apparaît désormais comme un avantage non négociable. Selon l’étude Robert Half, relayée par Focus RH (2), face aux difficultés de recrutement, les employeurs sont contraints de s’adapter : 42% des dirigeants interrogés estiment que le télétravail aide à attirer ou à retenir les talents.

La priorité accordée à l’expérience collaborateur transparaît également dans les conclusions de la 5ème édition du baromètre de Parlons RH11 puisqu’en 2022, 50% des entreprises disent avoir adopté une démarche expérience collaborateur (contre 25% en 2019). Parmi elles, 77% ont fait évoluer leur organisation du travail pour répondre aux demandes des collaborateurs.